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Des pionniers de l’agriculture bio

Des pionniers de l’agriculture bio

Tel que vous pouviez le lire sur le site de Radio-Canada

Se lancer en production laitière biologique au tournant des années 1990 frisait l’hérésie. Aujourd’hui, les « fous » d’hier récoltent le succès. Retour sur une aventure qui dure depuis 30 ans.

« Ils sont fous! »

La famille de Luc Désilets fait partie des neuf clans du Centre-du-Québec qui ont cofondé la fromagerie biologique L’ancêtre à Bécancour, un pari audacieux en 1992.

Mais avant de transformer le lait en fromage, il a fallu transformer la terre. Les producteurs laitiers ont converti les fermes de leurs ancêtres pour les rendre exemptes de pesticides et d’engrais chimiques, déjouant ainsi les normes des géants de l’industrie.

À la fin des années 1980, Luc Désilets en a entendu des vertes et des pas mûres.

On sait bien, ils n’ont pas assez d’argent pour mettre de l’engrais chimique, ils sont en difficulté, ils sont fous, ça va durer deux trois ans et ils vont s’apercevoir que ça ne marche pas, ils vont appauvrir leurs sols , énumère-t-il comme autant de critiques dirigées vers le projet colossal que sa famille s’apprêtait à mettre en branle.

Même son frère Patrick n’était pas convaincu du projet, découvre-t-on grâce à un extrait d’archives de 1993. Est-ce que tu es d’accord avec cette transition? lui demande alors la journaliste Élise Gauthier dans un reportage de l’émission La semaine verte.Avant, je ne pouvais pas dire que j’étais vraiment d’accord, confie-t-il. J’étais gêné de dire que mes parents étaient “biologiques”, pour ne pas faire rire de moi!

L’avenir a démontré que les Désilets ont gardé le cap, malgré les doutes. En 1990, la Ferme Germado et fils était complètement tournée vers le biologique. Aujourd’hui, les frères Désilets en sont très fiers.

À une trentaine de kilomètres de là, à Nicolet, Louis Fleurent terminait la même transition de cultures. Lui aussi a entendu les railleries.

Les deux agriculteurs partagent le même avis : à l’époque, quelques fermettes s’intéressaient au biologique, mais de là à faire fonctionner une grande production laitière sans utiliser de pesticides ou d’engrais chimiques… le projet était risqué.

Si les familles jouaient si gros, pourquoi alors s’être lancé dans le vide devant tant de voix discordantes?

La santé était au cœur de la démarche. C’était le principe de précaution qui m’animait là-dedans, explique Louis Fleurent. Si tu évites ça, tu vas éviter les conséquences […] J’avais un désir d’autonomie aussi. Je ne voulais pas dépendre d’autres secteurs, je ne voulais pas dépendre de fournisseurs en engrais, en produits.

Les Désilets notaient que la santé du troupeau était en déclin et se questionnaient sur la qualité de leurs sols. Chaque année, ils devaient mettre plus de pesticides, plus d’herbicides et plus d’engrais chimiques pour obtenir les mêmes rendements. Pour eux, le système agricole habituel n’était plus durable, même si ça impliquait de devenir un mouton noir auprès des leurs pairs.

Un pari risqué

Une fois les choix assumés, les familles ont dû réapprendre les pratiques d’agriculture. Ce qui se transmettait de génération en génération prenait un nouveau départ. La transition a duré environ trois ans. Pendant cette période, les agriculteurs ont multiplié leurs efforts pour respecter les standards. Ils ont milité pour la mise sur pied d’une prime versée aux producteurs de lait biologique du Québec, qui se chiffre aujourd’hui à une vingtaine de dollars par hectolitre.

La ferme des Désilets a retrouvé son rendement initial quelques années après avoir fait la transition. Mais il y a eu une période d’adaptation où les agriculteurs ont fait face à une baisse importante de production due aux changements radicaux pour les terres et les animaux.

On était surfertilisés , affirme Madeleine Désilets en 1993. Le ralentissement de production a été une épreuve particulièrement difficile, sans compter les conséquences immédiates découlant de l’arrêt de l’épandage.

Notre orgueil en prend un coup quand tu es habitué de faire des arrosages et que tu n’as plus de mauvaises herbes, mais on s’habitue quand on comprend « le pourquoi », on le fait, expliquera-t-elle à l’équipe de La semaine verte.

Luc Désilets estime que ses parents ont pris de grands risques. Il n’y avait pas vraiment d’études, mais ils étaient confiants que c’était la méthode de l’avenir , relate-t-il.

Les géants de l’industrie n’offraient pas de soutien. Les compagnies ont des techniciens et des agronomes pour aider les producteurs parce que si le producteur réussit, il va être captif d’eux autres, il va être obligé d’acheter leurs produits et leurs semences, explique Luc Désilets. En n’achetant rien, personne ne veut nous conseiller, personne est prêt à dépenser de l’argent pour nous aider, parce qu’on ne veut pas acheter, on veut être autonomes. »

En 2020, le cheptel total, parmi les actionnaires de L’ancêtre, compte un peu plus de 600 vaches élevées selon les principes biologiques.

Avec ses 135 têtes, Luc Désilets a un troupeau supérieur à celui d’une ferme habituelle. Chacune de ses vaches produit plus ou moins 9100 litres de lait par an. Les fermes laitières du Québec comptent en moyenne 71 vaches qui produisent 9400 litres de lait par année chacune, selon les données du MAPAQ ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec.

Louis Fleurent a pour sa part 40 vaches en lactation. Le rendement moyen est de 10 000 litres par vache, par année. Tous les efforts consacrés à l’alimentation et aux soins des animaux ont permis d’allonger la vie de ses vaches en production, de 18 mois en moyenne. Un progrès énorme aux yeux du producteur.

Louis Fleurent n’a jamais regretté son choix. En plus d’une longévité supérieure du troupeau, il estime qu’il a des frais de vétérinaires en bas de la moyenne.

L’une des particularités de la production laitière biologique tient au fait que le troupeau passe la majeure partie de son temps à l’extérieur dès le mois de mai et jusqu’en novembre. Cette façon de faire est très rare dans les fermes normales.

L’herbe fraîche des pâturages, qui sert de nourriture en plein été, influence la couleur et le goût du fromage par rapport à l’hiver, où les vaches se nourrissent principalement de foin. C’est l’observation de Louis Fleurent, pour qui le goût est à son meilleur pendant la belle saison. Et l’été 2020 est une cuvée dont il se rappellera longtemps, parce qu’elle a rimé avec succès.

Le goût du succès

La fromagerie connaît une forte hausse de la demande pour ses produits cette année, alors que la pandémie de COVID-19 frappe de plein fouet plusieurs secteurs de l’économie québécoise.

« Nos ventes ont augmenté de façon substantielle cette année. Notre croissance est supérieure à 10 %, se réjouit Pascal Désilets, qui a pris les rênes de la fromagerie il y a quelques années et qui est aussi le frère de Luc et de Patrick Désilets. »

Pour lui, la croissance des ventes est étroitement liée à la conscientisation grandissante des consommateurs, qui recherchent de plus en plus des produits aussi naturels que possible. L’appel du gouvernement à prioriser l’achat près de chez soi a aussi donné un précieux coup de pouce à L’ancêtre depuis le printemps 2020.

L’accomplissement est immense pour Madeleine Désilets, pour qui la Fromagerie était « un rêve ». « C’était le projet d’une vie », illustre son fils Luc.

« On est des agriculteurs, on n’était pas des transformateurs, dit Luc Désilets. On n’était pas sur le marché, on n’avait jamais eu de contacts avec les consommateurs, donc c’était vraiment une autre étape à faire, qui a été toute une école », relate-t-il.

Il conserve d’ailleurs un souvenir ému d’une assemblée des actionnaires. « Ça prenait de l’argent pour la semaine suivante parce que sinon, on était appelés à fermer. Les banques commençaient à être plus nerveuses ». Malgré l’insécurité financière, ils ont joué le tout pour le tout.

Les actionnaires n’ont pas baissé les bras, notamment parce que l’entreprise naissante venait combler un réel besoin. « À l’époque, il n’y avait aucun moyen de commercialiser le lait biologique. Tout le lait était mélangé au lait conventionnel », rappelle Pascal Désilets.

Mais les produits biologiques étaient très peu connus. « La demande n’était pas au rendez-vous », relate-t-il.

D’ailleurs, les consommateurs de la région de Vancouver, à des milliers de kilomètres de la fromagerie, ont été les premiers clients de L’ancêtre. Ils ont permis à l’entreprise de se maintenir à flot. Les marchés plus à l’est, comme le Québec et l’Ontario, ont mis plus de temps à se développer. Aujourd’hui encore, les exportations demeurent élevées, 70 % de la production actuelle prend la route vers les autres provinces canadiennes.

Comme membre fondateur de L’ancêtre, Louis Fleurent est lui aussi bien placé pour savoir que le succès de l’entreprise a vacillé avec les années. Il a fallu percer le marché. À l’époque, tous les bénéfices de l’entreprise étaient systématiquement réinvestis. « Ç’a été long, relate-t-il. Il y a eu une vague au début et après ça, ça a retombé. Ça a pris une nouvelle génération, je pense, pour un peu relancer ça, dit-il. Là on observe que le marché s’intensifie et que la demande est là. »

30 ans plus tard, les scénarios catastrophes ne se sont pas concrétisés. La fierté est palpable chez ces pionniers de l’agriculture biologique.

« On a été les premiers à offrir un fromage biologique sur une base canadienne, dit Pascal Désilets. La Fromagerie l’ancêtre est la plus grande fromagerie productrice de fromages et de beurre biologique au Canada. L’entreprise transforme environ 10 % de la production de lait biologique du Québec ».

Les défis des prochaines décennies

Si la fromagerie anticipe une demande toujours croissante, il reste que l’avenir cause bien des maux de tête.

Les projets d’expansion sont mis en veilleuse. « On est à la recherche intensément de personnel aide-fromager et à la coupe et emballage », résume Pascale Désilets.

Sur les terres familiales, même constat.

« C’est vraiment un gros défi! Le gouvernement a essayé d’envoyer des gens travailler en agriculture, mais la main-d’œuvre qualifiée et qui aime le domaine est vraiment difficile à trouver », explique Luc Désilets qui estime que le problème est exacerbé depuis quelques années. Il s’est d’ailleurs tourné vers le sud pour recruter des travailleurs étrangers temporaires, mais ça ne suffit plus.

Dans les bâtiments de ferme, la transition passera notamment par des salles de traite plus performantes ou par l’usage de robots. « Et dans les champs aussi, ça va être des GPS et des tracteurs qui se conduisent tout seuls pour optimiser chaque travailleur, être capable de faire plus de volume de travail », explique Luc Désilets.

Il estime que le défi frappe encore plus durement la production biologique que la production habituelle.

« On a plus de travail, dit-il. Dans le conventionnel, il y a moins de charge de travail. Nous, dans les cultures, les animaux aussi, ça demande plus d’interventions humaines », dit Luc Désilets.

Sa fille, Clodine Désilets a décidé de se lancer dans l’aventure, consciente des défis qui l’attendent, mais animée par la même passion familiale. Elle commence tout juste son cheminement au Cégep de Victoriaville et, déjà, elle note que les productions laitières biologiques sont encore loin d’être la norme.

« La plupart [des gens] qui s’en vont étudier dans le biologique sont dans les productions de serre à l’école. Je suis pas mal la seule qui va étudier là-dedans et qui vient d’une ferme laitière biologique », dit-elle. Si son père et son oncle en étaient gênés il y a 30 ans, la jeune femme le dit la tête haute, avec beaucoup de fierté. Signe que les temps changent.

Le manque de relève est aussi un enjeu pour certains producteurs du coin, mais pour Luc Désilets et Louis Fleurent, la relève est assurée. Les valeurs entourant la production biologique sont transmises et partagées. Le transfert des connaissances se poursuit au quotidien.

Quiconque veut se lancer dans la production de lait biologique ne devrait pas hésiter, estime Louis Fleurent. Il y a de l’aide aujourd’hui. Il y a des experts qui peuvent faire des scénarios et aider les entrepreneurs à se projeter pour « avoir une image du futur », dit-il.

« C’est possible de le faire », insiste Louis Fleurent. Et c’était la meilleure décision de sa vie.

 

Source : Radio-Canada / Crédit image : Radio-Canada

 

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